Résumé : Le gouvernement de Nouvelle‑Calédonie prolonge, pour un an, une exonération de droits et taxes à l’importation au bénéfice de la société Le Froid, dont l’usine a été détruite en mai 2024. La mesure couvre des volumes plafonnés de sodas et de bière importés en substitution de la production locale. Si l’exécutif invoque la sauvegarde de l’emploi et la neutralité fiscale entre produire localement et importer provisoirement, des acteurs du marché dénoncent une distorsion de concurrence. Dans l’opinion, la décision fait débat sur l’équité économique et les signaux envoyés en matière de santé publique.
Ce qui se passe
Le gouvernement a décidé d’accorder à Le Froid, pour une durée d’un an, une exonération de droits et taxes à l’importation sur des boissons « substituables » à celles que l’entreprise fabriquait localement avant l’incendie de son usine : sodas et bière. Les volumes autorisés sont plafonnés à environ 16 210 tonnes pour les sodas et 3 400 tonnes pour la bière. Cette décision prolonge un premier dispositif de trois mois acté en février 2025, présenté à l’époque comme un amortisseur après la perte de l’outil de production de Montravel lors des émeutes de mai 2024.
Ce qui reste dû et ce qui est exonéré
La mesure n’efface pas toutes les impositions. Le Froid demeure redevable de la taxe de consommation intérieure (TCI), de la taxe sur les alcools et tabacs (TAT), de la taxe sur certains produits contenant du sucre (TS) et de la taxe générale sur la consommation (TGC). En revanche, certains droits et taxes à l’importation qui frappent habituellement ces catégories de produits sont neutralisés, afin de rapprocher le régime des produits importés de celui qui aurait été applicable en cas de production locale.
Combien cela représente‑t‑il ?
Lors de la première décision de février, l’exécutif avait chiffré à environ 236 millions de francs CFP l’ordre de grandeur de l’allègement correspondant pour la période initiale. Pour la nouvelle période d’un an, l’impact budgétaire dépendra des volumes effectivement importés dans les plafonds autorisés et des prix d’importation ; il n’a pas été chiffré publiquement à ce stade. Ce coût doit être mis en regard des objectifs affichés : préserver l’emploi, stabiliser l’offre, contenir les prix à la consommation et permettre le temps de la reconstruction.
Pourquoi cette décision maintenant ?
Deux arguments sont mis en avant par l’exécutif : d’une part, la continuité d’approvisionnement sur des produits de grande consommation dont la fabrication locale a été interrompue par un sinistre ; d’autre part, un principe de neutralité fiscale visant à éviter que l’entreprise ne supporte, du seul fait de l’importation temporaire, des prélèvements qu’elle n’aurait pas acquittés si la production locale se poursuivait. La décision s’accompagne d’un cadrage précis : catégories de produits éligibles, volumes plafonnés et durée déterminée.
Des critiques qui montent : concurrence et équité
La mesure ne fait pas consensus. Des acteurs économiques pointent une distorsion de concurrence : pendant qu’un opérateur bénéficie d’un régime dérogatoire, les importateurs « ordinaires » restent soumis à l’intégralité des droits et taxes à l’entrée, avec un différentiel de prix potentiellement significatif en rayon. Des sources locales font également état de recours engagés par certains concurrents, au nom de l’égalité de traitement. Au‑delà des professionnels, une partie du public s’interroge sur l’opportunité d’un avantage fiscal appliqué à des boissons sucrées et à la bière, alors que des politiques de santé publique visent précisément à encadrer la consommation de ces produits.
Cadre juridique et technique : comment c’est possible
L’architecture fiscale locale distingue les taxes intérieures (TGC, TCI, TAT, TS) et la fiscalité douanière d’importation. Dans des circonstances exceptionnelles, l’exécutif peut autoriser, à titre strictement encadré, une neutralisation de certains droits et taxes à l’entrée pour des biens définis, des volumes plafonnés et une durée déterminée. Le principe est de ne pas sur‑taxer une production « provisoirement délocalisée » suite à un sinistre, tout en maintenant les prélèvements à finalité sanitaire (alcool, sucre) et la TGC. La transparence sur les volumes et la durée est un élément de contrôle indispensable.
Impacts concrets pour les consommateurs et les entreprises
Pour les consommateurs, l’effet attendu est une stabilisation des prix des marques concernées, dans un contexte de pouvoir d’achat sous tension. Pour les commerces, les grossistes et la distribution, l’arrivée de volumes importants à un régime fiscal dérogatoire peut modifier la structure des linéaires, les accords promotionnels et les arbitrages de commande. Pour les concurrents et les autres importateurs, l’enjeu est la soutenabilité de leur modèle si l’écart de fiscalité se traduit par un écart durable de prix au détail.
Reconstruction et sortie de dispositif : les questions qui demeurent
La mesure est présentée comme temporaire et liée à la reconstruction de l’outil industriel. Deux interrogations structurent la suite : le calendrier effectif de la reconstruction et les conditions de sortie du régime dérogatoire. Une trajectoire claire – jalons, appels d’offres, dates clés – est essentielle pour éviter qu’un dispositif exceptionnel ne devienne de facto permanent. Par ailleurs, des garde‑fous peuvent être envisagés : audits des volumes, publication périodique d’indicateurs (importations, prix de vente moyens), et clause de revoyure en cas de dérive ou d’effet de marché inattendu.
Quelques rappels factuels
• Volumes et durée : 16 210 t (sodas) et 3 400 t (bière) autorisées ; durée d’un an.
• Taxes maintenues : TCI (consommation intérieure), TAT (alcools/tabacs), TS (produits sucrés), TGC (consommation).
• Ordre de grandeur initial : env. 236 M F CFP d’allègement lors du premier dispositif (février, sur trois mois).
• Contexte : usine Le Froid détruite en mai 2024 ; production de bière délocalisée provisoirement en Australie ; importations substitutives.
Scénarios et pistes d’action
• Scénario 1 – Reconduction stricte et sortie calée sur la reconstruction : maintien des plafonds et publication d’un calendrier de sortie aligné sur la remise en service de l’usine.
• Scénario 2 – Ajustement en cours de route : réduction des volumes si l’effet sur les prix est jugé insuffisant ou si des effets de marché non souhaités apparaissent ; renforcement des contrôles.
• Scénario 3 – Suspension anticipée : en cas de contentieux ou de dérive manifeste, suspension partielle avec dispositif de compensation ciblée sur l’emploi.
Conclusion
Le dispositif d’exonération en faveur de Le Froid répond à un objectif clair de continuité économique après un sinistre industriel majeur. Il n’en est pas moins controversé : concurrence, équité fiscale et cohérence avec les politiques de santé publique sont au cœur des débats. La clé sera la transparence – volumes, prix, calendrier – et une clause de sortie lisible, afin que l’exception ne se transforme pas en privilège durable.