Résumé : Du 8 au 12 septembre 2025, le 54e Forum des Îles du Pacifique s’est tenu à Honiara (Îles Salomon). Devant les dirigeants de la région, le président du gouvernement de la Nouvelle‑Calédonie, Alcide Ponga, a présenté l’accord de Bougival comme une « promesse d’avenir partagé » et alerté sur des enjeux régionaux qualifiés de « brûlants » : stabilité politique, résilience climatique, sécurité maritime et influence géopolitique. Le huis clos souhaité par l’hôte salomonais a recentré les débats sur la solidarité régionale, tandis que la situation politique en France pourrait influer sur le calendrier de mise en œuvre de Bougival.
Ce qui s’est passé à Honiara
Le 54e sommet des dirigeants du Forum des Îles du Pacifique s’est déroulé du 8 au 12 septembre 2025 à Honiara. Les chefs de gouvernement et de territoire se sont réunis au Friendship Hall pour discuter de la coopération régionale, dans un format resserré : les « partenaires de dialogue » externes (États‑Unis, Chine, Royaume‑Uni, Taïwan, etc.) n’ont pas assisté aux séances des dirigeants, afin de permettre un échange franc sur l’architecture régionale, les priorités économiques et climatiques, ainsi que la sécurité maritime.
La position portée par la Nouvelle‑Calédonie
Dans son allocution, Alcide Ponga a replacé la Nouvelle‑Calédonie dans un moment délicat : une crise politique et économique encore vive, à la suite d’épisodes de violences et de tensions institutionnelles. Il a toutefois souligné qu’un cap existe désormais avec l’accord de Bougival, signé le 12 juillet 2025 par des représentants indépendantistes, non‑indépendantistes et l’État. Présenté comme une base d’un avenir partagé, ce texte vise à clarifier la trajectoire institutionnelle, à nourrir la réconciliation et à réancrer la Nouvelle‑Calédonie dans son environnement régional.
Bouger les lignes sans sur‑promettre
Sur le plan interne, l’accord de Bougival ne vaut pas réforme achevée : il doit être traduit en dispositions juridiques et faire l’objet d’un calendrier précis. Le chef de l’exécutif a insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’un cadre de travail qui suppose des actes : sécuriser l’ordre public, relancer l’économie, redonner confiance aux familles et aux entreprises, et rétablir des marges de manœuvre financières. Cette crédibilité interne conditionne la capacité de la Nouvelle‑Calédonie à parler d’une seule voix au plan régional.
Climat, océans, sécurité : les dossiers « brûlants »
Le sommet a mis l’accent sur la résilience climatique et la protection de l’océan, notamment du thon, ressource stratégique pour de nombreux États et territoires océaniens. Les dirigeants ont été informés des efforts renforcés de coopération halieutique et de surveillance maritime, alors que l’augmentation des pressions illégales, de la pollution et des phénomènes extrêmes menace les économies insulaires. La sécurité ne se limite pas aux uniformes : elle recouvre la continuité des télécommunications, l’intégrité des câbles sous‑marins, la cybersécurité des administrations et la sauvegarde des infrastructures critiques.
Un huis clos révélateur de priorités régionales
La décision de tenir des séances sans les partenaires de dialogue a permis d’exprimer des convergences sur la souveraineté décisionnelle du Pacifique : les priorités sont définies par les îliens et pour les îliens. Ce choix, loin d’un repli, traduit la volonté d’aborder sereinement les désaccords entre membres sur le rythme des intégrations économiques, la diversification des partenariats et les modalités de coopération en matière de sécurité et de climat. Le message affiché par les hôtes salomonais et repris par plusieurs délégations tient en un mot : unité.
L’ombre portée de la situation politique en France
La chute du gouvernement français au cours de la semaine du sommet a suscité des interrogations sur le rythme des prochaines étapes liées à Bougival. Si le texte demeure une référence politique locale, sa traduction juridique et institutionnelle dépendra du calendrier national et de l’agenda du futur exécutif français. Cette incertitude ne remet pas en cause, à ce stade, l’intention de poursuivre le dialogue, mais elle impose de la clarté dans les communications et, le cas échéant, des ajustements de planning.
Quels impacts concrets pour les Calédoniens ?
À court terme, le Forum ne débouche pas sur des transferts budgétaires immédiats, mais il oriente des axes d’action susceptibles d’avoir des effets tangibles en Nouvelle‑Calédonie : consolidation des dispositifs de surveillance des pêches et de la Zone économique exclusive, mutualisation de moyens aériens et maritimes, coopération accrue en cybersécurité, participation coordonnée aux fonds climat, et soutien aux filières agricoles et bleues (pêche, aquaculture). Pour les entreprises, un climat de stabilité institutionnelle demeure la clé d’accès aux financements et à l’investissement responsable.
Ce que l’accord de Bougival change – et ce qu’il ne change pas
L’accord n’est pas une fin en soi : il fixe des principes et une méthode. Il encourage la réconciliation, précise des engagements sur l’ordre public et la relance, et ouvre la voie à des adaptations institutionnelles. Il ne règle pas, en revanche, toutes les divergences entre acteurs locaux, ni les débats sur les compétences, la citoyenneté ou le rapport à l’État. Sa portée dépendra de la capacité des signataires à transformer l’intention en décisions, puis en résultats mesurables sur le terrain (éducation, emploi, sécurité, justice, services publics).
Les angles de vigilance
Plusieurs points méritent une attention journalistique continue : la transparence du calendrier d’application, l’inclusion de la société civile dans les étapes de concertation, les garanties apportées aux populations les plus touchées par la crise, l’articulation avec les collectivités (provinces, communes), et la compatibilité avec les engagements régionaux (pêche, climat, mobilité). Le risque principal est l’usure de la confiance si les annonces ne se traduisent pas rapidement par des améliorations visibles.
La place de la Nouvelle‑Calédonie dans le Pacifique
Sur la scène océanienne, la Nouvelle‑Calédonie se trouve à la croisée des chemins : territoire français du Pacifique Sud, porteuse d’enjeux stratégiques (métaux, espace maritime, position géopolitique), elle est attendue sur sa capacité à concilier stabilisation interne et contribution au bien commun régional. La cohérence du discours porté par Alcide Ponga – rétablissement interne et engagement régional – sera évaluée à l’aune d’initiatives concrètes : participation à des opérations conjointes de surveillance maritime, contribution technique aux cadres de gestion des pêches, expérimentation de solutions d’adaptation côtière, et priorisation de l’éducation et de la formation liées aux métiers de la mer et du climat.
Perspectives et scénarios
Plusieurs trajectoires sont envisageables à l’issue du sommet :
• Consolidation : l’accord de Bougival franchit des étapes juridiques dès le quatrième trimestre 2025, les partenaires régionaux s’appuient sur un interlocuteur stable, et la Nouvelle‑Calédonie contribue à des initiatives communes en matière de surveillance et de climat.
• Patience stratégique : la recomposition politique en France allonge le calendrier d’application, mais le dialogue local continue ; les partenaires du Pacifique maintiennent leur soutien, à condition de lisser les incertitudes par une communication régulière.
• Tensions renouvelées : une crispation interne ou un décalage prolongé entre annonces et exécution dégrade la confiance, complique les coopérations et reporte des financements. La prévention de ce scénario passe par des actes rapides et vérifiables.
Conclusion
En portant l’accord de Bougival au cœur d’un rendez‑vous régional majeur, Alcide Ponga a cherché à ancrer la trajectoire calédonienne dans un horizon de stabilité et de solidarité océanienne. Le Forum a envoyé un signal d’unité et de recentrage sur les priorités définies par les îles elles‑mêmes. Le défi, désormais, est de convertir ce message politique en avancées concrètes et datées : sécurité du quotidien, emploi, éducation, adaptation aux risques climatiques et crédibilité des institutions.