Résumé : Le 10 septembre 2025, l’Australie a annoncé un investissement d’environ 1,7 milliard de dollars australiens pour doter sa marine d’une flotte d’engins sous‑marins autonomes « Ghost Shark ». Les premières unités doivent entrer en service dès janvier 2026, avec une montée en puissance sur cinq ans. Conçus et produits localement par Anduril Australia, ces engins extra‑larges (XL‑AUV) mèneront des missions de renseignement, de surveillance, de reconnaissance et de frappe. Cette décision a des implications directes pour l’équilibre stratégique du Pacifique et les espaces maritimes de la Nouvelle‑Calédonie.
Ce qui a été décidé
Le gouvernement australien a validé un contrat pluriannuel pour la livraison, le maintien en condition et l’évolution d’une flotte de « Ghost Shark » destinés à la Royal Australian Navy. Le programme, engagé en 2022 autour de prototypes, passe en régime opérationnel (« program of record ») avec un objectif d’industrialisation sur le territoire australien. Les autorités évoquent la livraison de « dizaines » d’unités réparties sur plusieurs tranches, avec un début de mise en service annoncé en janvier 2026 et un horizon de déploiement complet sur environ cinq ans.
À quoi servent les Ghost Shark
Ces véhicules sous‑marins autonomes de catégorie « extra large » sont conçus pour couvrir de longues distances, rester en immersion prolongée et opérer discrètement. Ils emportent des charges modulaires pour des missions de renseignement, de surveillance, de reconnaissance, de guerre des mines et, selon la doctrine d’emploi, de frappe à distance. Leur mise en œuvre peut se faire depuis la côte, des bâtiments de surface ou des bâtiments‑mères spécialisés.
Ce que l’on sait des performances et du format industriel
Les spécifications détaillées ne sont pas publiques, mais les éléments communiqués font état d’une autonomie étendue, d’une architecture modulaire de capteurs et de charges utiles, ainsi que d’une production réalisée dans des installations dédiées en Nouvelle‑Galles du Sud. Le passage du prototype à la série a été accéléré en trois ans, en s’appuyant sur des itérations rapides entre l’industriel, la marine et l’agence d’innovation de défense. Le contrat comprend des volets d’amélioration continue (« spiral development ») destinés à intégrer des capteurs et logiciels de nouvelle génération.
Un choix complémentaire à AUKUS
Le programme « Ghost Shark » ne remplace pas le projet de sous‑marins nucléaires d’attaque porté avec les États‑Unis et le Royaume‑Uni (AUKUS), dont les premières livraisons interviendront à plus long terme. Il vise, à coût et délais maîtrisés, à combler une partie du besoin capacitaire sous‑marin et à multiplier les « effets de masse » sous la surface. Dans une architecture navale qui combine frégates, patrouilleurs, aéronefs et sous‑marins, la flotte d’AUV ajoute de la persistance, de la souplesse d’emploi et de la résilience.
Enjeux régionaux : pourquoi cela concerne la Nouvelle‑Calédonie
La zone économique exclusive (ZEE) calédonienne est au cœur de grandes routes maritimes et d’écosystèmes halieutiques sensibles. L’essor d’engins autonomes sous‑marins, capables de patrouilles longues et discrètes, peut modifier la manière de surveiller les approches, d’identifier les intrusions et de documenter les menaces (pêche illégale, trafics, interférences avec les câbles sous‑marins). Pour la Nouvelle‑Calédonie, l’intérêt réside dans la possibilité d’exercices conjoints, d’échanges de bonnes pratiques et d’interopérabilité entre moyens français et australiens, dans le respect des souverainetés.
Impacts potentiels pour la sécurité maritime locale
Dans le Pacifique sud‑ouest, la multiplication de vecteurs autonomes pourrait faciliter :
1) la détection des activités illicites (pêche INN) en amont des interceptions ;
2) la surveillance des couloirs de navigation et des zones de mouillage ;
3) le contrôle de l’intégrité d’infrastructures sous‑marines (câbles, conduites) ;
4) la production de données océanographiques utiles aux services civils (ports, météo‑océan, recherche). En parallèle, l’émergence d’outils militaires plus furtifs appelle une coordination régionale renforcée en matière d’identification et de déconfliction pour éviter des méprises en mer.
Ce que cela change pour les forces et les services français dans la région
Les forces armées déployées dans le Pacifique, les affaires maritimes et les centres de fusion de l’information (pêche, douane) pourraient bénéficier de partages d’expérience sur l’emploi des AUV, la fusion de données multicapteurs et la doctrine d’alerte. À court terme, la principale évolution tient à la présence d’un partenaire doté de capacités supplémentaires persistantes sous la surface ; à moyen terme, des scénarios d’entraînement et d’assistance mutuelle pourraient s’étoffer, avec des protocoles clairs de coordination.
Points de vigilance et questions ouvertes
• Transparence : le secret entourant les performances exactes impose une pédagogie minimale sur la doctrine d’emploi pour rassurer les partenaires régionaux.
• Droit de la mer : l’usage d’engins autonomes doit respecter les régimes juridiques des eaux territoriales, zones contiguës et ZEE, ainsi que les règles de sécurité maritime.
• Sécurité des câbles : la protection d’infrastructures critiques nécessite des procédures de notification et des canaux d’urgence dédiés entre opérateurs et autorités.
• Données : la collecte de données sensibles (acoustiques, bathymétriques) appelle des garanties de partage et de protection.
Repères budgétaires (indicatif au 10/09/2025)
Montant annoncé : 1,7 milliard de dollars australiens. À titre indicatif, cela représente environ 114 milliards de francs CFP. Les communications publiques évoquent aussi le chiffre de 1,1 milliard de dollars américains, soit un ordre de grandeur proche de 113 milliards de francs CFP. Ces équivalences sont données à titre informatif ; les montants exécutés dépendront des tranches et des indexations contractuelles.
Calendrier et jalons
• 2022–2024 : prototypes et essais accélérés, montée en maturité.
• Janvier 2026 : première mise en service annoncée.
• 2026–2030 : livraisons en rythme de croisière, maintien en condition et améliorations incrémentales.
• Au fil du programme : itérations logicielles, intégration de capteurs/charges nouvelles, doctrine affinée.
Conséquences économiques et industrielles
L’industrialisation locale en Australie soutient un écosystème de compétences (robotique, capteurs, IA embarquée, traitement de données). Pour la Nouvelle‑Calédonie et ses entreprises, les retombées directes sont limitées à court terme, mais des passerelles existent : prestations portuaires, essais en milieu tropical, services de maintenance légère, ou encore collaborations universitaires sur l’océanographie opérationnelle et la cybersécurité maritime.
Conclusion
En lançant une flotte de « Ghost Shark », l’Australie accélère la modernisation de sa posture sous‑marine et introduit, à coût et délais maîtrisés, une capacité de persistance et de déni d’accès. Pour la Nouvelle‑Calédonie, l’enjeu est de comprendre comment ces nouveaux acteurs autonomes redessinent la surveillance des espaces maritimes et d’inscrire, le cas échéant, la coopération régionale dans des cadres clairs et rassurants.